dimanche 6 janvier 2013

Belle du Seigneur


BELLE DU SEIGNEUR - ALBERT COHEN

J'ai donc fini l'année 2012 en compagnie de Solal et d'Ariane, en compagnie de Belle du Seigneur d'Albert Cohen. Ca faisait un certain temps que j'avais envie de m'y plonger - peut être à cause de la fascination que j'avais, enfant, pour les livres-pavés - et puis j'ai fini par me laisser convaincre. Ca m'a évidemment pris un certain temps, et finalement au moment où je rédige cette note je me demande si la difficulté que j'ai éprouvé à trouver une manière de parler de cette lecture n'est pas en grande partie liée à cette abondance de l'ouvrage. Je parle d'abondance en parlant de sa taille, mais en fait je ne sais si elle vient uniquement de ça. Parce que Belle du Seigneur, longueur mise à part, est un roman abondant. On y lit beaucoup de longs monologues dans lesquels on étouffe parfois parce qu'il n'y a aucun point et qu'on attend juste d'en arriver au paragraphe suivant où la ponctuation nous rendra notre souffle. On y trouve cependant beaucoup de matière à réflexion... J'ai passé tout le début de ma lecture à être enchantée de ces personnages complètement atypiques et étranges, doucement fous, toujours en recherche de nouvelles identités à s'inventer dans leurs mondes imaginaires. Les longues descriptions administratives et bureaucratiques de la SDN étaient justement rattrapées par ça (parce que, soyons honnêtes, j'ai eu tendance à en zapper une partie). On prend petit à petit conscience qu'on prend plaisir à haïr le méprisable petit Adrien Deume - méprisable parce qu'Albert Cohen s'efforce de le peindre comme tel à nos yeux, et y parvient avec maestria.
Et puis l'intrigue évolue, et la narration se perd dans la description des débuts d'une passion partagée. Pendant tout ce milieu de livre je me suis prise à m'ennuyer franchement, moi qui pendant tout le début avait eu du mal à déposer le bouquin pour manger. J'ai avancé coûte que coûte. Et puis est arrivé le véritable thème du roman selon moi, c'est-à-dire, pour user d'un cliché: "que se passe-t-il après le ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants?" Si moi j'use d'un cliché, Albert Cohen, lui, grave une description cruelle, désespérante et prodigue - une variation virtuose autour de ce thème. En trois pages, les sentiments du lecteur qui étaient déjà vifs, comme s'il était un des personnages (sans qu'il y ai véritablement d'identification à un personnage précis par ailleurs) - oui, on les sent véritablement - sont littéralement retournés. On se met à éprouver de la pitié pour le petit Deume qu'on a méprisé avec une ardeur rare, etc (je ne vais pas non plus tout dévoiler).
Si vous n'allez pas bien, évitez Belle du Seigneur. Si le début vous fera certainement du bien, la deuxième moitié vous enfoncera complètement. Solal est un personnage ambigu qu'on aimerait aimer profondément et qu'on trouve détestable parce qu'il est méprisant sans même le vouloir et qu'on se sent visé et c'est très désagréable. La fin est interminable non pas parce qu'elle est mauvaise, mais parce qu'en tant que lecteur on meurt lentement, on voit quelque chose s'épuiser petit à petit, et ça devient lourd, à la limite du supportable.
Ariane comme Solal ne sont au fond qu'un homme et une femme. C'est peut être ce qu'il y a de plus déchirant quand on lit cette oeuvre. Tout devient profondément pessimiste et triste et lourd.

BILAN:


13/20
Oui, juste 13. Je suis moi même un peu déçue de ne pas avoir pu mettre plus. J'ai vraiment passé tout le début de l'ouvrage à être plus enthousiaste que je ne l'ai été depuis longtemps en lisant un roman. Et puis l'enthousiasme est petit à petit retombé au fur et à mesure que j'avançais - je ne pense pas que ce soit à cause du pessimisme évident qui se dégage, non. Seulement, il me manquait quelque chose. Un peu du génie des personnages qui se dégageait au début. Un peu de Saltiel, d'Ariane escaladant l'Himalaya. Et puis se déclenchent des réflexions et des remises en questions qui sont fort désagréables. Oui, je crois pouvoir dire que le roman a un côté certainement antipathique vis à vis du lecteur que j'ai eu du mal à accepter.
Le livre est à lire parce que la peinture de la passion qui s'étiole, se gangrène, se violente, que nous offre Cohen est incroyable - de réalisme? Je ne sais pas, au lecteur de prendre le parti d'être lui même pessimiste ou non. Et surtout, je pense que la manière dont l'auteur joue avec nos sentiments est incroyable. Je n'ai jamais ressenti chaque chose de manière aussi vive en lisant. Quitte à me sentir absolument manipulée par Albert Cohen qui semble précisément savoir ce qu'il veut nous faire sentir, et quand. Si ça peut avoir un côté carrément désagréable, ça peut aussi absolument émerveiller de ce que les mots peuvent faire. Du reste, si l'agonie de la fin (je ne vous dirai pas l'agonie de quoi sinon ça n'a aucun intérêt) a beau être terriblement désagréable et anxiogène, la fin en elle même n'est absolument pas décevante. En voilà, une fin qu'on a été préparés à accepter totalement et même à approuver avec soulagement!
En bref, je conclurai en disant que si vous décidez de lire le livre - et je vous y encourage malgré tout - il faut le faire en étant prêt à en ressortir avec une grosse boule amère dans la gorge.

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